Chers amis,
Tous les ans, tous les 14 juillet nous célébrons traditionnellement la République française et ses valeurs : liberté, égalité, fraternité.
Cette année, la célébration a un goût particulier. Au regard des émeutes que la France a vécues, je ne peux m’empêcher de les mettre en regard avec le 14 juillet 1789, la prise de la Bastille, date anniversaire de la révolution et de la création de notre République.
En 2023, plusieurs milliers d’adolescents et de jeunes adultes (8 à 12 000), issus de quartiers populaires, âgés pour la plupart de 14 à 20 ans, ont fait vaciller la République en provoquant les plus graves émeutes urbaines jamais connues dans la France moderne.
A 234 années de distance dans le temps, ces deux événements n’ont absolument rien de commun.
En 2023, de la révolte spontanée des quartiers, générée par la mort d’un jeune lors d’un contrôle routier, nous sommes rapidement passé à un pillage de commerces, de lieux de service publique et même d’attaque du domicile d’un maire à la voiture bélier.
Je m’inspirerai ici de l’historien Jean Garrigues pour analyser le moment que nous avons vécu.
Un ancien président de la république déclarait que « Le seul principe qui vaille » face aux violences actuelles, « c’est celui de l’unité nationale », appelant au rétablissement de « l’ordre républicain ».
Effectivement le rassemblement et l’unité ont toujours été, depuis la Révolution française, le fil conducteur de la défense républicaine.
Mais que sont devenues les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de progrès, de laïcité et d’universalité qui constituaient le fondement intellectuel et symbolique du projet républicain ?
La génération de Jaurès et Clemenceau demandait l’égalité entre les hommes, Victor Hugo prônait une République fraternelle. Mais tout a changé depuis, la liberté s’est identifiée au libéralisme économique au détriment de l’égalité, la fraternité s’est diluée dans l’individualisme libéral, la laïcité se confronte au communautarisme, et l’universalité au repli identitaire. Comment peut-on encore défendre ce qui n’a plus de réalité concrète pour beaucoup de nos concitoyens ?
La République, confrontée à notre société émiettée en une infinité de groupes
socioculturels, confrontée au modèle communautaire, à la fois mondialisée et surindividualisée,
la République, disais-je, n’est plus qu’une référence abstraite pour
une majorité de Français. L’adhésion à ses valeurs suscite au mieux l’indifférence, au
pire le rejet de la part d’une partie des Français, notamment les plus défavorisés.
C’est ainsi que les « territoires perdus de la République » (expression de Jacques
Chirac) se sont réfugiés pour certains dans le culte de l’argent facile, pour d’autres
dans le communautarisme ou dans le populisme identitaire.
Que signifie la République pour ces gamins des cités nés au XXIe siècle, enfermés
dans l’univers cloisonné de leurs quartiers et dans le communautarisme qui s’y
développe, confrontés au trafic de drogue, biberonnés au rap, aux jeux vidéo et aux
réseaux sociaux ?
Dans ces « quartiers », la République n’est qu’un concept étrange, un mot, une
illusion, un privilège des autres, les « Français », de l’autre côté du périphérique ou
dans les beaux quartiers.
Et ce mal-être républicain ne ronge pas que les quartiers régulièrement en ébullition.
On en voit quotidiennement partout la marque, à travers le manque de politesse, le
manque de savoir-vivre qui affecte notre « bien vivre ensemble ».
D’où l’appel à l’urgence de la « reconquête » du sens du commun, tous ensemble,
gamins des banlieues, déclassés de la France périphérique, majorité silencieuse. Ce
sens du commun, ce sont les valeurs qui ont façonnées depuis deux siècles
l’apprentissage de la citoyenneté républicaine.
Cela nécessite un gigantesque effort de pédagogie où l’école a toute sa part dans la
transmission des valeurs au côté de l’instruction des matières fondamentales. Il
faudra aider (certains disent forcer) les familles à assumer leur rôle d’éducation et
d’autorité, retisser le lien, reconstruire le tissu social. Bref une nécessité absolue de
pédagogie de la citoyenneté, avec ses droits et ses devoirs, seule manière de recréer
un horizon commun.
C’est le défi auquel doit faire face aujourd’hui notre République à laquelle nous
sommes ici, toutes et tous, attachés.
Vive la République, vive la France.